Continuons notre dossier sur l’intelligence artificielle. Aujourd’hui, nous avons interviewé Albert Vinel, prêtre et utilisateur de l’IA.
Pourriez-vous vous présenter quelques mots ?
Je suis Albert Vinel, prêtre à la paroisse Saint-Joseph de Waterloo. et professeur de théologie (Dogmatique, Sacrements et Histoire de l’Eglise en Belgique).
Une passion ?
Pendant mes études de doctorat à Louvain-la-Neuve, j’ai développé un peu par hasard une passion pour l’informatique. L’université venait d’acquérir un outil informatique puissant qui permettait d’analyser l’œuvre immense de saint Augustin, encodée sur support numérique.
Mais je voulais garder un esprit critique par rapport aux propositions d’analyses fournies par les outils numériques. Je me suis donc formé pour comprendre leur fonctionnement et leurs points faibles.
Pour vous, l’IA pourrait aider l’Église à annoncer le Christ ?
Mon intérêt pour l’intelligence artificielle prolongeait mon regard critique sur l’utilisation du numérique dans les sciences humaines. Et comme pour mes recherches sur Saint Augustin, j’ai compris que le fonctionnement de ce nouvel outil est purement statistique. C’est un aspect essentiel !
Ce ne sont pas des hiérarchies de valeurs qui commandent les résultats de l’IA mais des occurrences statistiques. Or, ce n’est pas nécessairement parce qu’une majorité de personnes partagent le même avis que cet avis est vrai…
Mais il nous est fort utile de disposer d’outils qui peuvent recueillir les avis de la majorité des gens. Nous sommes invités à annoncer la Bonne Nouvelle non pas à des identités virtuelles mais à des personnes réelles.
Si l’on a un projet d’annonce missionnaire, il est nécessaire de se préoccuper du lexique que nous utilisons pour transmettre notre message. Et pour cela, demandons-nous quelle est la signification d’un concept clé et de comment il va être reçu par les personnes à qui l’on s’adresse.
Concrètement, quand je cherche à annoncer le Dieu des Chrétiens, je manie un mot lesté de toute une culture judéo-chrétienne et occidentale. Mais l’interlocuteur qui entendra ce mot « dieu » n’y mettra pas nécessairement le sens que je lui donne. Notamment parce que la notion courante de dieu a été squattée par la publicité, par le développement personnel, etc. Dans l’annonce, il faut intégrer ces évolutions de sens.
En cela, l’intelligence artificielle est un outil intéressant pour aller vérifier ce qui se dit à propos d’un mot à l’instant T. Cela permet d’adapter mon message pour faire en sorte qu’il soit transmis de manière plus accessible à mes interlocuteurs. C’est aussi un désir de rester à l’écoute de notre monde réel d’aujourd’hui.
Concrètement, comment utilisez-vous l’IA ?
J’ai commencé à utiliser l’IA par curiosité. Par exemple, j’ai voulu vérifier ce que l’IA comprenait du geste discret où le prêtre ajoute un petite goutte d’eau dans le vin pendant la messe. J’ai été très surpris par la réponse, liturgiquement et théologiquement correcte. Occasionnellement, j’utilise l’IA quand je traite un thème biblique dans une homélie.
En fait, il y a deux types d’IA. Le premier se contente de proposer une synthèse de toutes les informations disponibles sur Internet. Dans mes tâches d’enseignant, je m’en sers de plus en plus. Quant à l’IA générative, qui crée du contenu, je ne l’utilise pas du tout.
En somme, j’utilise l’IA pour trouver un résumé rapide de ce qui se dit sur le web.
D’après vous, l’IA, c’est une chance ou une malédiction ?
L’IA est un fait. Et comme dit le proverbe anglais, « un fait vaut mieux qu’un lord-maire ». Les faits sont tenaces ; ils parlent d’eux-mêmes.
Il y a quelques jours, la VRT a publié une enquête sur l’utilisation de l’IA par les élèves flamands. Il se trouve que deux tiers des élèves dans le secondaire y ont recours.
Donc l’IA n’est plus une option. Elle fait maintenant partie de la réalité. On peut le regretter, s’en réjouir. Mais le fait est là.
Pour ma part, j’encourage mes étudiants à s’en servir, à condition qu’ils le citent. Il y a maintenant une manière conventionnelle de citer cette source. Il faut notamment y inclure impérativement la date et l’heure de l’interrogation du « chatbot ».
Qu’est-ce que vous demandez à l’IA ?
Ce que je demande à l’IA, c’est de ne pas m’asservir. Car il y a un risque réel que cette programmation anonyme soit personnifiée. Et que l’on entretienne un véritable lien, un vécu émotionnel avec cet objet. Donc je ne lui demande pas de se substituer à une relation personnelle.
Par contre, suite à un cancer de la langue, je n’ai plus pu faire la voix off de petites vidéos que je créé pour mes besoins pastoraux. J’ai découvert que l’IA peut me remplacer dans ce domaine. J’écris un commentaire et je le fais lire par l’IA, en alternant différents type de voix. Pour cela, j’utilise le logiciel WonderShare UniConverter.
Quelques conseils pour les personnes en charge de la communication en Église dans l’utilisation de l’IA ?
En tant que communicateur, je demanderais à l’IA son avis sur les titres de mes articles. Cela permet de vérifier l’adéquation du vocabulaire.
Il s’agit de demander à l’IA une forme de vérification d’une réception optimale d’une conférence ou d’une activité.
Demanderiez-vous à l’IA un article sur le mercredi des cendres par exemple ?
Oui, pourquoi pas. La réponse ne serait probablement pas mauvaise du tout. L’enjeu est d’avoir la formation nécessaire pour s’assurer de l’exactitude de la réponse. Il faut exercer un esprit critique, qui est, lui aussi, un don de Dieu !
IA payante ou gratuite ?
Pour mon utilisation, l’IA gratuite me suffit. Je ne suis par certain que payer une licence spécifique soit nécessaire pour le pôle communication d’une paroisse.
Il est clair que plus on paye, plus on a accès à des modules plus avancés de l’IA, notamment en matière d’IA générative.
Des considérations éthique ou environnementales ?
Je sais que poser des questions à l’IA produit une forte consommation, notamment d’électricité et d’eau (de refroidissement). Je dois avouer que bien que conscient, je n’y suis pas très attentif. Parce que confiant que l’IA génèrera elle-même une partie de la parade nécessaire au développement mondial exponentiel de ce magnifique outil.
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